Pour un musée d'expression brute.

                       utopie

 

alexis Peron        

 

     

L’ Art Brut !

Après avoir ouvert le débat sur l’Art, cette dénomination maintenant le pollue.

‘’ L’Art Brut ‘’ fut une provocation. Aujourd’hui cette dénomination ayant perdu son pouvoir corrosif est source de confusion. L’Art ayant ravalé son mépris veut le digérer en le considérant effectivement comme un art, une étape, un événement parmi SES événements. Or si, par sa force, l’Art brut, le mal nommé, peut être sujet de confusion, il n’est évidemment pas un art mais une expression qui relève du cri ou du murmure mais non de l’ ‘’art et la méthode’’ du peintre. Son medium n’est pas la peinture mais tout ce qui lui tombe sous la main : déchets d’une civilisation que sollicite cette pauvre main.

 

Cependant, même ces déchets, l’artiste les lui vole. Mais pour lui c’est une attitude. Pour l’autre c’est une nécessité pratique. Pour l’un, ces déchets sont sublimés par lui, d’eux jaillit un art rénové. Pour l’autre, c’est un morceau de papier déchiré, bleu, jaune…à coller sur ce fond de carton brun ramassé à l’aube dans les encombrants ( les encombrants !) pour tenter de trouver par cette harmonie ressentie des formes et des couleurs un instant d’équilibre dans le déferlement et le chaos de ses souffrances.

 

 L’Artiste le plus retranché vit parmi nous. Il est retranché de notre mode de vie qu’il n’apprécie pas, des traditions qu’il abhorre. Voulant être original (seul à l’origine de son art) il ne veut pas être influencé, manipulé. L’autre ne peut être manipulé que par les médicaments qu’on lui fait absorber et qui de toute façon le camisolent mais ne sauraient le réintroduire dans une société qu ‘il n’a jamais connue ou qu’il a quittée. Lui est, de fait et sans effort, original puisqu’il est à l’origine unique de son univers, de son œuvre dirait l’artiste.

Cependant il ne construit pas une œuvre, il trace un lieu où habiter. L’un est dépendant de l’histoire de l’art ; l’autre des seuls archétypes de l’humanité. Curieusement il devient l’architecte d’une vie dont il n’est pas le maître et par là même en est le concepteur sinon le Créateur.

 

Voilà, l’Autre va aller dans un musée, un beau musée je pense…Que va-t-il y faire ?

Ceux qui l’ont sauvé, qui l’ont sorti de l’ombre et de sa nuit parfois s’interrogent : ne pouvions nous pas laisser disparaître ce monde en paix ? Qu’on en fasse commerce, pourquoi pas. Il y aura toujours des marchands dans les temples. Qu’on voit un bois de Forestier trouvé abandonné sur un tas de fumier disséqué façon ‘’experts ‘’pour être réparé, nettoyé, remonté, c’est tout l’art du conservateur et le rôle principal du musée. Il y a d’ailleurs, dans tous les musées du monde, des cadavres et des tombeaux, des sarcophages et des momies…

 

Mais lui ne peut exister en ce lieu que si on se souvient que ce sont des souffrances et non des œuvres qu’on exhibe. Le musée n’est ni Grand Guignol ni Hôpital. Il n’est pas une salle d’embaumement ni un cimetière. Mais il risque d’être un espace étouffé ou se murmurent des conférences en forme d’éloges funèbres d ‘évêques glorieux et avertis …

 

L’EXPRESSION BRUTE n’est pas Ecole, elle n’est pas constituée en Eglise. Nous n’en sommes pas les desservants. Nous ne sommes que des veilleurs. Nous ne voulons pas qu’elle soit trafiquée. L’Autre mérite de cheminer de son pas propre dans ces salles neuves et ouvertes, blanches et claires à en écraser sa réalité obscure.

 

Le musée d’Art Brut aura accompli son oeuvre originale quand, devant un de ces signes jetés, accrochés sur les murs, le passant, le promeneur, le visiteur, peut-être même des amoureux en ce beau jour de vacances, à la lumière violente de l’été et malgré elle, diront non le si souvent entendu ‘’ regarde comme c’est beau ’’ mais ‘’regarde comme il se bat, sens comme il souffre ‘’, passant de la contemplation esthétique à l’émotion pure. Et quand de jeunes écoliers accroupis et rigolards menés en ces lieux par des maîtres d’école de bonne volonté n’écouteront plus les Docteurs leur expliquer le jeu des formes et le jaillissement des couleurs mais gênés devant ces douleurs secrétées et secrètes se pousseront du coude et se demanderont ‘’que faisons-nous ici ? ‘’,

 

Alors, l’Autre leur répondra, par la voix du Musée qui l’accueille :

 

« Il ne faut pas comprendre, il faut perdre connaissance »

Paul Claudel

 

 

  septembre 2OO7

 

 

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La lettre :                   1. Dubuffet et l'art brut    2. Architectures sans raison   

                                     3.  Le pays d'où elle vient   4. Espaces reconquis